Les rues de la ville étaient un tourbillon de vie, un chaos organisé où les bruits du marché se mêlaient aux cris des marchands et aux éclats de rire des voyageurs. Mero, conscient de l’importance de la mission qui l’attendait, suivait son ma?tre Antonin avec une vigilance accrue. Chaque coin de rue, chaque visage qu’il croisait, pouvait cacher une menace, une opportunité ou une fausse piste. Les ruelles étroites, bordées de boutiques aux enseignes colorées, formaient un labyrinthe où les étals débordaient de marchandises exotiques. Des vêtements brodés d’or, des épices aux couleurs vives, des armes de qualité inou?e et des perles rares s’étalaient sous leurs yeux. Les fruits inconnus, les tissus aux motifs fascinants, les statuettes sculptées dans des bois étranges… tout cela créait un kaléidoscope de couleurs, de senteurs et de sons. Mais au-delà de cette effervescence, quelque chose dans l’air semblait chargé de tension.
Ma?tre Antonin avan?ait d’un pas rapide, ses yeux scrutant les environs avec une attention presque obsessionnelle. Ses gestes étaient précis, mesurés, comme s’il marchait sur un fil tendu au-dessus d’un précipice. Mero suivait, son regard se dépla?ant sans cesse, analysant chaque mouvement, chaque présence. La chaleur était oppressante, et l’air vibrait sous le poids du soleil, lourd de promesses et de menaces invisibles. Les odeurs de la mer et des épices se mélangeaient, envahissant ses narines à chaque pas. Les couleurs des étals, des tissus éclatants aux fruits tropicaux aux teintes improbables, le plongeaient dans une sensation d’étourdissement. Mais il ne pouvait se défaire de la lourde impression que quelque chose ne tournait pas rond.
Ils passèrent devant des échoppes dont les portes battaient au vent, les cris des marchands se mêlant aux éclats de rire des voyageurs. Un homme à la peau noire, presque luisante de sueur, tentait de vendre des soies orientales, ses yeux brillant d’une malice que Mero ne saurait définir. Plus loin, un groupe de corsaires, leur peau tatouée de symboles étranges, discutait vivement autour d’un tonneau. Leurs voix grondaient comme un tonnerre lointain. Mais malgré l’animation ambiante, un malaise persistait. Mero ressentait une pression sur sa poitrine, une sensation étrange qu’il n’arrivait pas à identifier.
Puis, enfin, ils s’arrêtèrent devant un immense batiment. Un sentiment de gravité s’empara de Mero. Le batiment était imposant, une structure de pierres massives, aux murs ornés de gravures anciennes. Il semblait avoir été taillé dans la montagne elle-même, à la fois majestueux et impénétrable. Les portes étaient gardées par des colosses, des hommes si grands qu’ils paraissaient presque irréels. Les Grosbill. Des géants venus du centre du continent, dont les origines restaient mystérieuses. Leur taille n’était pas simplement imposante ; elle semblait être une manifestation de leur pouvoir. La plupart mesuraient près de 2m50, et leurs carrures musclées, presque caricaturales, les faisaient ressembler à des statues vivantes. Mero ne put s’empêcher de frissonner en les observant. Ils se tenaient là, immobiles, comme des sentinelles figées, chacun portant des armes colossales qui semblaient aussi naturelles que leurs bras.
— Ce sont des Grosbill, expliqua Antonin d’un ton presque solennel. Une tribu du centre du continent Loriwirien, qui reste encore largement inconnue. Leur territoire n’a pas encore été exploré. Mais leur présence ici… Cela signifie que cet endroit est d’une importance capitale. Ces hommes sont aussi rares en dehors de leur domaine que précieux.
Mero n’eut pas le temps de répondre, ses yeux rivés sur les géants, ses pensées tourbillonnant. Dans le coin de son esprit, un avertissement se fit entendre : ces hommes ne sont pas là par hasard. Ils étaient là pour protéger, mais qui, ou quoi, protégeaient-ils exactement ?
La file d’attente devant le batiment était longue. Les gens se pressaient, impatients d’entrer. Des marchands de tout horizon, des corsaires aux tatouages saisissants, des érudits vêtus de longues robes noires, tous se tenaient là, dans une attente qui semblait interminable. Le murmure constant des conversations, les pas des soldats qui se dépla?aient silencieusement, l’atmosphère pesante de l’endroit, tout cela contribuait à donner une impression de gravité presque palpable.
Mero balaya l’assemblée du regard, analysant chaque individu, chaque mouvement. Et c’est alors qu’il aper?ut quelque chose qui fit battre son c?ur plus fort. Dans un recoin de la grande porte, un homme se tenait adossé à une colonne de pierre. Son regard était dissimulé sous une capuche, mais ce n’était pas cela qui attira l’attention de Mero. C’était le tatouage sur son poignet gauche. Un serpent. Un serpent entrelacé autour de son bras, se faufilant comme une créature sinistre. Le message de Mandarine lui revint alors en mémoire, brut, effrayant. Cet homme pouvait être un ennemi. Mais que faire ? Il n’était que spectateur dans cet endroit, un simple visiteur.
— Cet homme… il est là pour une raison, murmura Mero à Antonin, bien qu’il sache que son ma?tre l’avait probablement déjà remarqué.
Antonin tourna brièvement la tête, son visage impassible. Il n’avait rien dit. Il ne fallait pas montrer de signes de faiblesse. Il fallait se concentrer. Dans un murmure à peine audible, il ajouta :
— Ne t’inquiète pas. Les Grosbill sont là pour nous protéger. Ils ne permettront à personne de causer des ennuis à l’entrée de ce batiment. Nous sommes en sécurité ici.
Mero hésita un instant, puis se résigna à se concentrer sur la tache à accomplir. Il ne pouvait se permettre de céder à la peur, pas maintenant.
Petit à petit, la file avan?ait. Les gens s’agitaient un peu plus, certains murmurant à propos des affaires qu’ils venaient conclure, d’autres discutant des prix des dernières marchandises échangées. Les éclats de voix, les bruits des pas résonnaient contre les murs de pierre. Enfin, après ce qui sembla être une éternité, ils passèrent la porte du batiment.
à l’intérieur, Mero se sentit soudainement pris par une atmosphère différente, une sensation de froid presque abstrait, comme si l’endroit était exempt de toute chaleur humaine. De hauts plafonds vo?tés, des colonnes de marbre blanc poli soutenant des arches gigantesques. L’espace était à la fois ouvert et imposant, ses murs décorés de gravures élégantes et de fresques détaillant l’histoire du commerce et des grandes puissances du continent. Des employés en uniformes impeccables se dépla?aient entre les comptoirs en marbre, tandis que des gardes lourdement armés surveillaient l’ensemble.
Mais ce n’était pas seulement l’apparence de l’endroit qui impressionnait Mero. C’était la pression, l’importance des transactions qui s’effectuaient ici. Chaque geste, chaque parole semblait avoir un poids considérable. Le regard du ma?tre d’h?tel, froid et professionnel, ne laissait place à aucune émotion, comme si cet endroit était con?u pour être un lieu de froideur et de calcul.
Antonin se dirigea d’un pas assuré vers un guichet réservé aux transactions de grande envergure. Là, un employé aux traits austères les accueillit avec une efficacité presque inquiétante. Son sourire était aussi vide que la salle dans laquelle ils se trouvaient.
— Que puis-je faire pour vous, honorable client ?
— Nous venons déposer un bien précieux sous protection impériale, répondit Antonin d’un ton grave.
Ils furent conduits dans une salle privée, loin de l’agitation des comptoirs. Une salle toute en marbre, silencieuse et presque irréelle. L’employé apporta un coffre blindé, son visage impassible tandis qu’il attendait que la transaction se fasse. Antonin ouvrit un petit sac en velours, et sous les yeux de Mero, une lumière étrange s’échappa, reflets et éclats se mêlant dans l’air. Les pierres précieuses, le trésor que Mandarine avait laissé derrière elle. Rubis, saphirs, émeraudes… une fortune incalculable, une richesse que Mero n’avait jamais pu imaginer. Cela allait tout changer, il le savait. Il comprenait maintenant l’importance de ce dép?t, l’importance de sécuriser cette richesse.
L’employé observa les pierres, ses mains n’ayant aucun tremblement. Il les scruta une par une, sous la loupe, puis, d’un ton neutre, il énon?a :
— Un peu plus de 2 millions de piastres, au taux actuel.
La somme était colossale. Mais cela ne faisait qu’ajouter à la lourdeur du moment. Ma?tre Antonin échangea un regard avec Mero, un regard lourd de signification. Ce n’était pas seulement une question de richesse. C’était une question de pouvoir, de sécurité et de l’avenir qui se jouait là.
— Nous souhaitons un dép?t sécurisé sous le nom de Mero, fils de la Maison de Sel, dit Antonin. Un nom qui allait officialiser cette alliance, ce contrat de richesse.
Les mots flottèrent dans l’air lourd de la salle, et pour Mero, tout sembla ralentir. Ce nom, ce titre, maintenant gravé dans les livres de la Banque Impériale, allait marquer le début d’une nouvelle ère. Mais quel avenir l’attendait ?
En sortant de la banque, l’impression de danger s’était encore renforcée. Mero restait silencieux, absorbé dans ses pensées, tout en suivant son ma?tre dans la foule. Le bruit du marché, les couleurs chatoyantes des échoppes, tout cela semblait soudain bien lointain. Il se demandait si tout ce qui se passait ici était simplement une étape dans un jeu qu’il commen?ait à peine à comprendre. Mais une chose était certaine : ce qu’il avait entre les mains pourrait changer la donne.
L’homme au tatouage de serpent avait disparu.
Mero s’arrêta un instant, les yeux fixés sur la boutique de cartographie, avant de faire remarquer, à voix basse, que cet endroit pourrait lui être utile pour ses études. L’air chargé d’humidité du port se mêlait aux effluves salés de la mer, et un vent léger soufflait en faisant bruisser les voiles des bateaux amarrés près du quai. Ma?tre Antonin leva lentement les yeux de sa carte et acquies?a, son regard devenant soudain plus sérieux, comme s’il mesurait l’importance de la situation.
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"Effectivement, Mero," dit-il, d’un ton grave, "ce genre de cartes pourrait enrichir tes connaissances sur les mers, les courants, et les routes commerciales. Elles te seront utiles non seulement pour comprendre la navigation, mais aussi pour saisir la géopolitique des régions que nous explorons." Ses mots résonnaient comme une promesse, une sorte de bienveillance dissimulée derrière un masque de rigueur. Mero ne répondit rien, absorbé par la perspective d’explorer de nouvelles terres et de se préparer aux découvertes de l’inconnu. L’esprit de l’explorateur qui sommeillait en lui s’éveillait lentement, poussé par l’appel de l’aventure.
Ils s’avancèrent alors vers l’échoppe du marchand. Un vieux batiment de bois, à l’aspect usé par les années, mais néanmoins solide, se dressait devant eux. La porte en bois sculpté était entrouverte, laissant échapper des odeurs d’encres et de vieux papiers. Dès qu’ils franchirent le seuil, un vieux marchand, la peau rugueuse comme le cuir, les salua chaleureusement, un sourire en coin éclairant son visage marqué par le temps.
"Mes cartes sont les plus précises du royaume," dit-il en désignant les rouleaux soigneusement enroulés et les parchemins empilés sur des étagères en bois, "Si vous cherchez des informations sur les courants, les vents, ou même les passages secrets, vous trouverez tout ici."
Mero s’approcha des étagères, les yeux brillants d’anticipation. Les cartes étaient belles, certaines d’une finesse remarquable. Il y en avait pour tous les go?ts : des cartes maritimes des mers du sud, des dessins géométriques d’archipels lointains, des itinéraires tracés dans une précision presque militaire. Mais son regard se fixa sur quelque chose de particulier, un rouleau qui dépassait des autres. C’était une vieille carte, à la surface usée, les coins froissés par le temps, mais qui semblait contenir un savoir que Mero n’avait jamais rencontré auparavant. Les autres cartes semblaient modernes, mais celle-ci était différente, presque intemporelle.
Il se pencha sur la carte avec une intense concentration. C’était une carte ancienne, probablement plus vieille que tout ce qu’il avait vu jusque-là. Elle semblait décrire des territoires oubliés, des ?les perdues, des c?tes que personne n’avait jamais osé approcher. Mero n’osait pas toucher le rouleau de peur de l’endommager, mais il sentait la puissance de ce savoir contenu dans ses lignes, cette même énergie qui se dégageait des anciennes cartes qu’il avait étudiées dans les bibliothèques impériales.
Ma?tre Antonin remarqua l’intérêt de son jeune protégé et s’avan?a lentement à ses c?tés. Le vieux marchand, qui n’avait pas encore remarqué leur fascination, se permit un commentaire désinvolte.
"?a, c’est une vieille carte, probablement dessinée par un fantasque," dit-il avec un sourire moqueur. "Elle n’a aucune valeur, vous savez."
L’air de Ma?tre Antonin changea instantanément. Le regard qu’il posa sur le vieux marchand fut froid et calculateur. Il saisit le rouleau et l’examina avec une attention nouvelle, comme s’il reconnaissait la véritable valeur de ce que l’autre avait dédaigné.
"Puisqu’elle n’a aucune valeur," dit-il avec une froideur presque amusée, "je vais la prendre pour vous libérer l’espace qu’elle prend." Le marchand haussait les épaules, visiblement désar?onné par l’autorité de Ma?tre Antonin, et se contenta de répondre par un murmure résigné.
"Bien s?r. Si vous le souhaitez, je vous la laisse volontiers."
Mero, stupéfait, observa son ma?tre prendre possession de la carte avec une efficacité implacable. Le marchand n’osait plus protester, comme si une force invisible l’avait réduit au silence. Ma?tre Antonin déroula la carte et la scruta sous tous les angles. Chaque mouvement de ses doigts trahissait une expertise rare. Mero s’approcha lentement, fasciné par la précision des lignes et par la richesse des détails. Ce n’était pas simplement une carte ; c’était un fragment d’histoire, une mémoire du monde, peut-être perdue depuis des siècles.
"Cette carte," dit enfin Ma?tre Antonin en langage Selien, repliant lentement le parchemin pour en préserver l’intégrité, "est probablement l’?uvre d’un explorateur ancien, un homme qui a osé naviguer bien au-delà des limites de ce que nous considérons aujourd’hui comme possible. Elle contient des secrets qui pourraient bien changer notre compréhension du monde."
Les mots de son ma?tre résonnèrent dans l’esprit de Mero comme une révélation. Il comprenait maintenant que ce n’était pas qu’une simple acquisition matérielle, mais bien le début d’une aventure plus grande. Un frisson d’excitation parcourut son échine, mais il se for?a à garder son calme. Ce n’était que le début. Le voyage à venir serait difficile, semé d’emb?ches, et Mero savait qu’ils n’étaient qu’au seuil de quelque chose de bien plus vaste qu’ils ne pouvaient l’imaginer.
Ils quittèrent l’échoppe sans dire un mot de plus au marchand, laissant derrière eux un vieil homme qui se contenta de les regarder partir déconcerté. Le vent soufflait fort maintenant, et Mero ressentait un frisson dans l’air, une sorte d’anticipation qui le pressait de continuer.
Ma?tre Antonin et lui marchèrent en silence jusqu’au bateau, chacun perdu dans ses pensées. Une fois à bord, ils se retirèrent dans le coin habituel du pont, à l’abri des regards curieux des membres de l’équipage. Là, ils déplièrent la carte dans le bureau du maitre pour éviter qu’elle ne soit vue par des yeux indiscrets.
Ma?tre Antonin se pencha au-dessus de la carte, son doigt effleurant les lignes avec une précision qui trahissait une connaissance profonde de la mer. Les contours des ?les étaient dessinés avec une finesse incroyable, et les eaux, avec leurs courants mystérieux, semblaient presque vivantes sous ses yeux.
"Regarde ici," dit-il, pointant un groupe d’?les perdues au sud-est, "ces ?les n’apparaissent sur aucune carte moderne. Et ce gouffre sous-marin près d’elles… Il est marqué comme étant d’une profondeur abyssale, mais si on suit les annotations, il semble que ces lieux soient liés à des phénomènes étranges. Des vents qui inversent leur direction, des courants qui disparaissent dans des gouffres. C’est comme si la mer elle-même cherchait à dissimuler ces endroits."
Mero observa la carte avec une intensité nouvelle. Les ?les semblaient abandonnées de tout monde connu, coupées de toute civilisation. Leurs contours semblaient presque irréels, comme s’ils appartenaient à un autre temps. La nature de la carte, sa richesse, son ancienneté, suggéraient que celle-ci n’avait pas été dessinée par des marins ordinaires, mais par un explorateur ayant franchi des frontières inconnues.
"Cette zone..." murmura Ma?tre Antonin, son doigt effleurant un autre endroit avec une concentration totale. "Elle correspond à une ancienne légende des marins du nord. Ils parlaient de lieux où la mer semblait se défendre contre l’homme, où des créatures marines géantes empêchaient toute intrusion. Il y a des détails ici qui…"
Il s’interrompit soudainement, son regard se fixant intensément sur un passage en particulier. Il releva la tête, scrutant la carte sous un autre angle, comme si quelque chose venait de lui échapper.
"Mero," dit-il enfin, la voix plus grave, "cette carte contient des informations qui pourraient nous mener à une découverte majeure. Si ce que nous voyons ici est vrai, il existe des territoires marins inconnus où peu de navires osent s’aventurer. Des endroits où des tempêtes inexplicables et des créatures mythologiques attendent les imprudents."
Un frisson parcourut le corps de Mero. Il sentit son c?ur s’emballer, partagé entre l’excitation de l’inconnu et la peur des dangers qui les attendaient. "Et comment allons-nous savoir si ces légendes sont réelles, ma?tre ?" demanda-t-il, sa voix un peu plus rauque que d’habitude.
Ma?tre Antonin lui lan?a un sourire énigmatique, un sourire qui semblait plus profond que le simple jeu de mots. "Nous devrons y aller mais pas tout de suite, tu dois finir ton éducation en premier" répondit-il avec calme.
Mero observa son ma?tre, les yeux brillants d'une excitation palpable, tandis que celui-ci enroulait précautionneusement la carte. Il était rare de voir Ma?tre Antonin dans un tel état, et cela ne faisait qu'ajouter au mystère qui entourait la découverte de cet artefact. La lumière qui dansait sur le rouleau de parchemin sembla refléter quelque chose de bien plus grand que ce qu'ils avaient pu imaginer jusque-là. Il y avait là un frisson d'aventure, un appel irrésistible, mais aussi un avertissement. Le genre d'appel que l'on ne pouvait ignorer, même si la raison le dictait.
"Va dans ta cabine, Mero," dit-il, sa voix calme mais autoritaire, "tes devoirs t'attendent. Nous avons encore du travail à accomplir, et cette carte ne nous conduira nulle part si nous ne sommes pas préparés."
Mero, bien qu'enivré par le tourbillon d'émotions qui secouait son esprit, s'inclina respectueusement, suivant les ordres de son ma?tre. Mais en se retournant, une partie de lui restait accrochée à ce moment. Il ne pouvait s'empêcher de songer aux horizons inexplorés qu’elle promettait, aux terres perdues et aux mystères enfouis au-delà des océans. L'excitation de l'aventure s'enroulait autour de ses pensées comme les rouleaux de la carte, insidieuse et inaltérable.
Sa cabine semblait soudainement trop petite pour contenir ses pensées. Alors qu’il franchissait la porte de bois de sa chambre, il sentait l’air du navire contre sa peau, la brise salée qui se glissait par la fenêtre entrouverte. Les vagues frappaient la coque du navire avec une régularité tranquille, presque hypnotique. Leur bruit était familier, apaisant, mais ce soir-là, elles semblaient lointaines, étouffées par un tourbillon intérieur qui ne cessait de grandir en lui.
Il s'assit à son bureau, mais ses mains, habituellement si décidées, semblaient se perdre en chemin. Il ouvrit ses livres, dispersant quelques manuels impériaux sur la table. Mais les mots dansaient devant ses yeux, se floutant à mesure que son esprit vagabondait. La carte… elle le hantait déjà. Il pouvait presque la voir, déroulée sur le bureau, comme un écrin de secrets oubliés. Ses pensées se perdaient dans les courants marins inconnus, dans ces ?les aux contours incertains et ces gouffres abyssaux qui semblaient défier toute logique. Que recelaient vraiment ces territoires ? Pourquoi avaient-ils été oubliés de tous, et plus encore, pourquoi avaient-ils été marqués sur cette carte ? était-ce un avertissement ou une invitation ?
Les vagues, toujours, martelaient la coque du navire. La mer, si familière et pourtant si étrangère, lui murmurait des promesses de mystères enfouis, de trésors non découverts. Ses doigts effleurèrent la surface du papier, sans savoir qu'ils tra?aient déjà des cartes imaginaires dans son esprit. Chaque vague devenait une métaphore de ce qui l’attendait. Tout ce qui se cachait derrière l'horizon, derrière ces ?les qui n'avaient jamais vu la lumière du jour. était-ce là sa future destinée, celle d'un explorateur qui, sans le vouloir, découvrirait des terres oubliées par le temps ? Et que serait-il de lui, de son propre destin, si un jour, il venait à comprendre les secrets que recélait cette carte ?
Il secoua la tête, comme pour chasser ces pensées trop grandioses. Il fallait qu’il se concentre sur ses devoirs, après tout. Cela faisait partie de son éducation, de son apprentissage, de sa préparation pour ce qui pourrait bien être son avenir. Il ouvrit de nouveau son manuel sur les courants marins et essaya de plonger dans la complexité des phénomènes océaniques, mais les mots lui échappaient, se dissolvant dans les brumes de son esprit distrait. Il n'arrivait plus à saisir le sens de ce qu'il lisait. Les termes scientifiques semblaient se mêler, se déformer, comme si la mer elle-même voulait les engloutir.
Une fois de plus, ses yeux dérivèrent vers la porte de sa cabine, presque comme un réflexe. Il s’attendait à ce que Ma?tre Antonin entre à tout moment pour l’appeler, pour lui dire que l’heure était venue. Que l’expédition avait été décidée, que le navire se préparait à partir à la recherche de l’inconnu. Une partie de lui, une part encore trop jeune, attendait ce signal, cette confirmation que sa vie prendrait enfin un tournant, que l’aventure tant rêvée se concrétiserait. Mais il savait, dans un coin de son esprit, que ce n’était pas encore le moment.
Il soupira, un long soupir qui semblait expulser toute l’agitation qui l’habitait. S’il devait être honnête avec lui-même, il aurait aimé qu’on l’appelle à la place. Mais ce n’était pas encore son tour. La carte, même si elle occupait toutes ses pensées, devrait attendre. Sa priorité restait d’être un bon élève, de ma?triser ce que l’on attendait de lui. Cette expédition n’était pas encore pour lui, et tout le reste n’était que fantasme. La réalité imposait ses propres lois.
Il prit son stylo, le trempa dans l'encre, et commen?a à griffonner quelques calculs sur les courants. Les mots revenaient peu à peu. La mer était vaste, trop vaste, mais elle obéissait à des principes, des règles qui, une fois comprises, permettaient de la ma?triser. Peut-être que ce serait un jour à lui d’appliquer cette ma?trise, d'entrer dans la grande danse des vagues et des vents, là où l'inconnu se dressait, impénétrable et irrésistible.
Les heures passèrent sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. Le crépuscule s’était installé sur la mer, la lumière palissant à mesure que le soleil se couchait. Une étrange tranquillité régnait sur le navire, et l’esprit de Mero se calmait peu à peu. Il n’était plus obsédé par la carte, ni par l’appel de l’aventure. Les vagues, le vent, et la mer, si proches et si lointaines à la fois, l'avaient apaisé. Il avait encore du temps. Le moment viendrait. L'horizon n'était pas encore à portée de main, mais il savait qu'il s'y approchait à grands pas.
Il se leva enfin, se dirigea vers la fenêtre et regarda au loin. Le ciel se teintait de nuances d’orange et de rose, tandis que la mer, calme et majestueuse, semblait s’étendre à l’infini devant lui. Le vent soufflait dans ses cheveux, apportant avec lui l'odeur salée de l'océan. Et quelque part, là-bas, cachée sous les vagues, se trouvait la vérité que cette carte semblait promettre. Peut-être qu'il ne serait jamais celui qui la découvrirait, mais il savait au fond de lui que son nom serait gravé dans l’histoire de cette expédition. Peut-être pas maintenant, mais un jour. Et ce jour-là, ce serait à lui de se dresser face à l’inconnu, d’ouvrir les portes de l’aventure et de découvrir ce que la mer, impitoyable et belle, avait de plus mystérieux à offrir.
Il se retourna et ferma les yeux un instant. Il n’avait plus de doute. Il partirait. Un jour.